L’astre lumineux à l’aube de son règne arrache au Vampire un soupir de langueur. Sur la note âcre d’une dernière bouffée de fumée, il élude encore une fois de son esprit l’ultime hurlement de sa congénère éplorée. La vision de la tresse qui s'échoue dans une marre de sang noir et frais, la jeune femme qui se jette sur la viande égorgée de sa jumelle, et une sensuelle robe rouge qui s'évapore dans la nuit. Dans les contes qu’on lit aux jeunes vampires, les matins d’orages où ils n’arrivent pas à s’endormir, s’étendent des vallées luxuriantes où jamais le soleil ne se lève. Le sol et les plantes sont d’un rouge profond, la sève des arbres est riche de sang. Aucun dieu de colère ou de miséricorde pour accabler les insouciants, les imparfaits qui commettront leurs erreurs, et en apprendront les leçons.

D’un œil fier et arrogant, l’engeance impie foudroie les vaisseaux amarrés à leur ancrage, leur lent va-et-vient entre l’île la plus mystérieuse du ciel et sa mer de nuages, désespérément libre et inatteignable. La Vierge n’est nulle part où trouver. Dommage, car il se sentait la force de mille hommes, ce matin. Et l’aurore naissance teinte les remous nuageux, d'un rouge aussi, intense et infini, s’étendant en dégradé d’or jusqu’à perte de vue, comme les vallées oniriques de ces contes pour bambin.

Le tapotement nerveux de son talon contre les tuiles branlantes cesse. Sa cigarette à moitié consommée rejoint le flot de déchets d’une gouttière, et l’homme saute à bas du toit où il s’était posé. Quelques mètres plus bas, entre deux murs son ombre glisse jusqu’à la rue déserte, vaporeuse et indétectable. La pluie incessante a invité les derniers braves éveillés à rentrer dans leur chaumière.
Arpentant les pavés, le fugitif s'égare, se faufile, tourne à plusieurs angles jusqu'à se retrouver bloqué dans une impasse, tout du moins, en apparence.
Un frisson délicieux court furtivement sur sa nuque, et un léger rictus étire la commissure de ses lèvres alors que d'un timbre profond, sa tessiture traînante éprend le silence de l'impasse, sans interlocuteur présent.

« Toujours là... N’a-t-on pas suffisamment d’ennemis déjà pour éviter de s’entretuer ?… »

Rien ne lui répond. Peut-être l'infatigable chasseuse de prime s'est lassée, la ville est assez grande et fournie en proie pour qu'ils évitent de se recroiser, après tout. Enfin, on peut rêver...
Trois coups sont frappés à une porte de bois pourri, et pourtant solidement ancrée sur ses gonds d'acier. Derrière le panneau, rien ne semble bouger, jusqu'à ce que plusieurs cliquetis étouffés retentissent alors que cèdent un à un ce qui ressemblent à un arsenal de cadenas. Le bois s'entrouvre enfin, sans laisser deviner l'identité de l'hôte.

« Si tu comptes encore me faire la peau, je te conseille d'entrer. Si elles sont encore à nos trousses, tu ne passeras pas la journée. »

À ces mots, Vlad s'engouffre dans l'embrasure sans hésiter, et disparaît dans l'obscurité.